UN REGIME PARANOÏA
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Pas moins de 100 gros marchés ont été attribués de gré à gré, ces seize derniers mois, à la présidence de la République du Bénin, dans les ministères et structures sous tutelles, sociétés et offices d’Etat», révèle une enquête indépendante financée par une mission diplomatique de la place. «Le rapport final sera bientôt publié», rassure une source proche du dossier. «Comment un nombre aussi impressionnant de marchés soient passés de manière illégale au vu et au su de la société civile que nous finançons et de tous les organes de contrôle du pays ?», s’est demandé un diplomate sous le couvert de l’anonymat. Le président de la République du Bénin, Patrice Talon, dans une lettre en date du 3 août 2017 adressée au ministre de l’économie et des finances, a reconnu l’existence des marchés de gré à gré dans les ministères et organismes rattachés. «Il m’est revenu de manière insistante, que des marchés sont conclus par mode de gré à gré au sein de certains ministères ainsi que d’organismes qui leur sont rattachés, et soumis à l’approbation de vos services. Je vous demande instamment de vouloir bien prendre les mesures urgentes à l’effet de ne plus donner suite à ce genre de marché sans l’autorisation du Conseil des Ministres», a-t-il écrit à Romuald Wadagni. Faut-il le rappeler, il ne revient pas au conseil des ministres d’autoriser les marchés de gré à gré. Le constat donc des enquêteurs indépendants est alarmant : depuis l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon, tous les textes en vigueur qui régissent la passation des marchés publics sont violés au quotidien. Sur 111 pages, les faits sont énumérés, bruts, sans commentaire ni interprétation. Et les responsabilités sont bien situées. Le rapport accable le président de la République, son entourage immédiat et des membres de son Gouvernement. Il met en cause plusieurs marchés publics relatifs à la gestion du Bordereau de suivi des cargaisons (BSC) attribué au Bureau Maritime International (BMI) et à la gestion des réserves de faune de la Pendjari et W donnée à l’Ong African Parks Network par le conseil des ministres (siège des marchés de gré à gré), le 17 mai 2017. Et ce n’est pas tout. Le rapport cite d’autres exemples patents de gré à gré ou de mal gouvernance : Affermage de trois hôpitaux de zone (Covè, Djidja et Djougou); mise en concession du Cnhu; location des groupes électrogènes avec Aggreko, APR et consorts; construction d'une centrale électrique thermique dual fuel de 150 MGW par PARAS EBERGY, autorisée par le conseil des ministres du 8 février 2017; recensement des Béninois, opération qui devrait démarrer incessamment et au terme de laquelle notre carte d'identité nationale passera à 10.000 F CFA confié à SAFRAN-IS avant même l’investiture du chef de l’Etat; mise en concession des aéroports du Bénin et mise en place d’un système de contrôle des entrées et des sorties confiée à Morpho Dys par le conseil des ministres du 18 novembre 2016 (née en Côte d'Ivoire à peine 40 jours avant l'attribution du contrat); Ebomaf, sélectionnée en gré à gré pour la réhabilitation d'une partie du réseau routier national; Adéoti, sélectionnée pour la réhabilitation d'une partie du réseau routier national; acquisition de 500.000 moustiquaires imprégnées en gré à gré à 1.467.900.000; mise en œuvre du PVI confiée à Bénin Control-Webb Fontaine Group; acquisition des intrants agricoles; liquidation ordonnée de la Sonapra, l’Ons, l’Onasa, l’Adma-Sa, la Caia, des six Carder (autorisée par le conseil des ministres du 30 novembre 2016), Bénin Télécoms, Libercom et de la Sbee; mise en gestion déléguée du Port de Cotonou; mise en concession de la gestion des aérodromes de l’Etat décidée par le conseil des ministres du 11 janvier 2017; leasing ou location de véhicules à longue durée décrété par le conseil des ministres du 15 février 2017… La liste des marchés de gré à gré illicites sous la Rupture ou des «liquidations», «mise en affermage», «mise en gestion déléguée» et «mise en concession» dans des conditions totalement sombres est longue. Certains PTF qui ont commandité cette enquête entendent aller jusqu’au bout, afin de ramener le Gouvernement sur le droit chemin. Vu l’ampleur de la situation, il n’est pas exclu qu’ils posent désormais des conditions avant d’apporter leur contribution au développement économique et social du Bénin. «Les choses ne peuvent plus rester en l’état», promet un diplomate qui a requis l’anonymat.
Lu pour vous par Hermann KOKOU